Harcèlement: l' arrêt de la Cour d'arbitrage du 10 mai 2006
Vendredi 16.06.06
(http://www.droitbelge.be)
1. Introduction
Un arrêt attendu a été prononcé
par la Cour d’arbitrage le 10 mai dernier.
Depuis plusieurs mois, de
nombreux dossiers de harcèlement étaient bloqués, dans l’attente de l’examen par
la Cour de la constitutionalité de l’article 442bis du code pénal qui réprime le
harcèlement moral.
Le 20 septembre 2004, le Tribunal correctionnel de
Liège avait interpellé la Cour d’arbitrage compte tenu de la différence
d’échelle de peine selon que le harcèlement soit moral ( article 442bis du code
pénal ) ou téléphonique ( article 114, §8, 2° de la loi du 21 mars 1991 sur les
entreprises publiques autonomes ).
Le 6 décembre 2004, le même tribunal a
interrogé la Cour d’arbitrage au sujet des difficultés rencontrées pour définir
tant l’élément matériel que l’élément moral de la prévention de harcèlement
moral.
D’autres questions similaires ont été posées dans ce contexte par
des juridictions principautaires les 3 février 2005 et 11 avril 2005 ainsi que
par le Tribunal correctionnel de Nivelles le 23 février 2005.
La Cour
d’arbitrage a décidé de joindre ces cinq causes et s’est donc prononcée au début
du mois de mai dernier ( arrêt
n°71/2006 du 10 mai 2006 ).
Le présent commentaire ne s’attardera pas
sur le sort réservé à la question connexe posée par le Tribunal correctionnel de
Liège le 6 décembre 2004 et relative à la constitutionnalité de l’article 5 de
la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs.
Il est à
cet égard renvoyé aux pages 23 à 30 de l’arrêt précité.
2. Les
moyens développés
En ce qui concerne la différence de sanction entre
le harcèlement téléphonique ( amende de cinq cents à cinquante mille euros et
emprisonnement d’un à quatre ans ) et le harcèlement moral ( amende de cinquante
euros à trois cents euros et emprisonnement de quinze jours à deux ans ), les
normes dont la violation était alléguée étaient bien entendu les articles 10 et
11 de la constitution.
Les plaideurs s’interrogeaient en effet sur la
justification d’une telle différence de traitement relative à des situations
relativement analogues.
S’agissant des critiques portées à l’endroit de
l’incrimination visée par l’article 442bis du code pénal, les normes invoquées
étaient les articles 10, 11, 12 et 14 de la constitution, combinés avec les
articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article
15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de
New-York.
En clair, se posait la question de la compatibilité de la
prévention de harcèlement avec les principe de légalité et de prévisibilité de
la loi pénale compte tenu de l’absence de définition précise du concept de
harcèlement dans la loi et, corrélativement, du pouvoir d’appréciation trop
important accordé aux juridictions du fond.
Cette imprécision donnait
lieu également à différentes interrogations non résolues : l’infraction de
harcèlement est-elle subordonnée à la réitération du comportement litigieux ? le
harcèlement doit-il être apprécié subjectivement ou objectivement
?
Enfin, la cour était invitée à se prononcer sur la compatibilité du
libellé de la prévention de harcèlement téléphonique avec le principe de
légalité, eu égard au caractère imprécis du terme « importuner
».
3. L’arrêt
La première question relative à la
différence de peine existant entre le harcèlement selon qu’il est téléphonique
ou moral a donné lieu à une réponse positive de la Cour.
Pour arriver à
cette conclusion, la Cour constate tout d’abord que l’infraction prévue par la
loi du 21 mars 1991 n’implique pas que les éléments constitutifs de l’infraction
visée à l’article 442bis soient réunis.
Ainsi, il peut y avoir
harcèlement téléphonique même si l’utilisation du moyen de télécommunication ne
présente pas de caractère harcelant ou si la tranquillité du correspondant n’est
pas effectivement perturbée.
Cependant, la loi du 21 mars 1991 ne rend
punissable un comportement que si l’auteur avait l’intention d’importuner son
correspondant.
Or, l’article 442bis ne requiert pas l’intention spéciale
de perturber la tranquillité d’autrui puisqu’il suffit que l’auteur savait ou
aurait dû savoir qu’il affecterait gravement la tranquillité de la
victime.
En d’autres termes, l’élément moral de l’infraction visée à
l’article 442bis du code pénal est d’un degré moindre que celui de l’infraction
créée par la loi du 21 mars 1991.
Néanmoins, la Cour « n’aperçoit pas
en quoi cette circonstance ou l’utilisation d’un moyen de télécommunication sont
de nature à justifier des peines à ce point plus lourdes » ( Cour
d’arbitrage, arrêt n°71/2006 du 10 mai 2006, p. 22).
Et de conclure, «
l’article 114, §8,2° de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines
entreprises publiques économiques viole les articles 10 et 11 de la
constitution, en ce qu’il prévoît, pour celui qui utilise un moyen de
télécommunication afin d’importuner son correspondant, des peines plus lourdes
que celles prévues par l’article 442bis du code pénal » ( Ibidem, p. 31
).
En ce qui concerne la question essentielle, dès lors que celle-ci
menaçait l’existence même de l’article 442bis du code pénal, la Cour rappelle
tout d’abord que cette norme « n’a pas pour objet de réprimer tous les cas de
harcèlement » mais uniquement ceux qui « constituent des atteintes à la
vie privée des personnes », et qui « consistent à importuner une personne
de manière irritante pour celle-ci » ( Ibidem, p. 16 et 17 ).
La Cour
répond ensuite à la question de la nécessité ou non de la répétition du
comportement litigieux.
Pour ce faire, elle rappelle qu’originairement,
la proposition de loi prévoyait que le « harceleur » devait agir « de
façon répétée » ( Ibidem, p. 17 ).
Toutefois, cette condition a été
supprimée dans le « souci d’écarter une interprétation de l’article 442bis du
code pénal empêchant la répression du harcèlement, lorsque la période qui sépare
les actes répétés est de courte durée » ( Ibidem, p. 17 et 18 ).
Et
de citer un exemple donné à l’occasion des travaux parlementaires : doit être
sanctionnée l’attitude d’« une personne qui aborde quelqu’un en rue et
insiste alors qu’il lui a été clairement fait comprendre que son comportement
était gênant » ( Ibidem, p. 17 ).
Plus loin, la Cour se penche sur la
question du critère d’appréciation du harcèlement : subjectif ou objectif
?
La Cour précise à cet égard que la notion d’atteinte grave à la
tranquillité ne peut être comprise « comme une autorisation pour le juge de
sanctionner un comportement sur la base de données subjectives, telles que le
sentiment de la personne visée par le comportement harcelant » ( Ibidem, p.
18 ).
L’arrêt commenté mentionne également que le juge du fond doit avoir
« égard aux données objectives qui lui sont soumises, telles que les
circonstances du harcèlement, les rapports qu’entretiennent l’auteur du
comportement harcelant et le plaignant, la sensibilité ou la personnalité de ce
dernier ou la manière dont ce comportement est perçu par la société ou le milieu
social concerné » ( Ibidem, p. 19 ).
Très clairement, la Cour
condamne ici la thèse subjectiviste du harcèlement.
A l’issue de l’examen
de ces différentes questions, la Cour conclut à la constitutionnalité de
l’article 442bis du code pénal.
Enfin, au terme d’une motivation
relativement succincte ( les mots « afin d’importuner son correspondant »
indiquent à suffisance l’élément moral de l’infraction et les mots « afin de
provoquer des dommages » ne peuvent raisonnablement s’entendre que comme
visant des dommages causés aux moyens de télécommunications eux-mêmes, ce que
confirment les travaux préparatoires » - Ibidem, p. 21 - ), la Cour estime que
la notion de harcèlement téléphonique respecte également le principe de légalité
4. Conclusions
La première conséquence de cet arrêt
est que les différents dossiers actuellement bloqués au niveau des juridictions
de fond vont pouvoir de nouveau être examinés à la lumière de l’enseignement de
la Cour : l’article 442bis ne viole ni la constitution, ni les normes
supranationales précitées.
Il en sera de même pour les causes moins
fréquentes relatives à des faits de harcèlement téléphonique.
S’agissant
de cette dernière norme, la Cour a donc considéré qu’il n’était pas justifié de
sanctionner de tels comportements par des peines plus lourdes que celles
encourues par les « harceleurs » au sens de l’article 442bis du code
pénal.
On le sait, sur questions préjudicielles, « les décisions de la
Cour d’arbitrage ont pour effet que la norme subsiste mais que lorsque la même
question se pose aux juridictions, celles-ci doivent en principe et en règle
suivre la décision de la cour d’arbitrage » ( Liège, 27 juin 2001,
Rev.trim.dr.fam., 2002, p. 691 ).
Ainsi, l’arrêt commenté implique
que le harcèlement téléphonique ne devrait plus pouvoir être sanctionné par une
peine supérieure à un an d’emprisonnement et à une amende de trois cent
euros.
Cette conséquence devrait demeurer relativement théorique, les «
harceleurs téléphoniques » étant rarement condamnés à des peines excédant
ces seuils.
Antoine Leroy
Avocat -
Association Lallemand-legros
Auteur : Antoine Leroy
Source
: DroitBelge.Net - Actualités - 16 juin
2006